Du calot de la Marne de la fin de l’été 1914 aux chars britanniques utilisés lors de la bataille de la Somme en 1916, les années de guerre virent hélas l’imaginaire humain inventer des armes de destruction de masse. L’avion remplaça très vite le ballon dirigeable. Les canons de 1915 à 1916 doublèrent leur portée passant de 10 km à 26 kilomètres, condamnant la plupart du temps les soldats enterrés dans leurs tranchées à une mort certaine. Et puis, vint le temps de la chimie. Les gaz de combat furent utilisés pour la première fois à Ypres en 1915. L’hypérite – appelé gaz moutarde – provoquait la mort des soldats sur 4 à 5 semaines. Et quand ils ne mourraient pas, ils conservaient des séquelles à vie de l’exposition à ces gaz de combat. C’est sans doute à partir de l’utilisation des gaz dans les tranchées de 14-18 que le caporal Hitler et les nazis eurent l’idée d’employer le zyklon B, un pesticide, dans la mise en œuvre en 1942 de la solution finale. Autrement dit, si l’industrie a contribué à la guerre, la guerre aura aussi façonné l’industrie.
Beaucoup d’écrivains ont voulu nous dire la guerre. Avec « le Feu », Henri Barbusse nous raconta, côté français, son quotidien dans les tranchées de 1914 à 1916. « Un feldwebel est assis, appuyé aux planches déchirées qui formaient, là où nous mettons le pied, une guérite de guetteur. Un petit trou sous l’œil : un coup de baïonnette l’a cloué aux planches par la figure. Devant lui, assis aussi, les coudes sur les genoux, les poings au cou, un homme a tout le dessus du crâne enlevé comme un œuf à la coque… À côté d’eux, veilleur épouvantable, la moitié d’un homme, coupé, tranché en deux depuis le crâne jusqu’au bassin, est appuyé, droit, sur la paroi de terre. On ne sait pas où est l’autre moitié de cette sorte de piquet humain dont l’œil pend en haut, dont les entrailles bleuâtres tournent en spirale autour de la jambe. ». Dans son roman « A l’Ouest Rien de Nouveau » paru en 1929, Eric Maria Remarque, envoyé sur le front en 1917 à l’âge de 19 ans, nous décrit les mêmes scènes d’horreur côté allemand. « Obus, vapeurs de gaz et flottilles de tanks : choses qui vous écrasent, vous dévorent et vous tuent. Dysenterie, grippe, typhus : choses qui vous étouffent, vous brûlent et vous tuent. La tranchée, l’hôpital et le pourrissoir en commun : il n’y a pas d’autres possibilités. »
Le cinéma a cherché aussi à nous montrer la guerre. Il y eut « Les sentiers de la gloire » de Stanley Kubrick, dont l’objet fut de nous dire toute l’imbécilité du commandement militaire français. La dernière adaptation du roman d’Erich Maria Remarque par le réalisateur Edward Berger nous montre comment des officiers allemands ont continué de sacrifier leurs propres soldats entre la signature de l’armistice du 11 novembre 1918 à 5 h 30 et l’heure du cessez-le-feu fixé à 11 h 00 ce même jour. N’oublions pas le magnifique film d’Albert Dupontel, « Au revoir, là-haut » qui traite du sujet de toutes ces 15000 gueules cassées d’après-guerre.
J’ai eu la chance de voir les crayons que le peintre Marcel Delaunay, alors au service des infirmeries de l’armée, a pu réaliser des soldats blessés. J’y ai vu des hommes qui avaient la conscience de leur destin, comprenant qu’ils étaient en sursis. J’y ai vu la terreur, l’incompréhension des raisons de cette barbarie, de ce carnage. La guerre de 14-18 aura fait au total 9 millions de morts.
Parler de cette grande guerre où des Saint-Eligiens et tant de Français sont morts en masse est une nécessité. Et peu importe la manière dont nous le faisons ! Nous avons vis à vis de tous ces soldats un devoir de mémoire permanent.
Denis Szalkowski, Maire de Saint-Eloi-de-Fourques